vendredi 22 février 2008

P

J'étais prise. je ne pensais plus qu'à. Un soir, ayant quitté P à la sortie de l'hôtel, j'ai rejoint une boîte de travestis qu'un de ses amis, auquel il parlait de moi, lui avait indiquée.
Affolement de mes pas se portant vers ce lieu. Voix qui tremble, jambes flanelle, désir de fuir, de renoncer, impossibilité. Je suis dans la boîte, accueillie par une trave. Long couloir sombre, pièce où. Je n'ai rien amené, emprunte au fond commun.
Jamais satisfaite, jamais assez belle, jamais assez femme. Tout le soir et la nuit en fille.
Je suis repartie en manque. Déjà en manque. Il faudrait revenir. Ne pas.
Comme le lendemain, j'ai sucé mon amant.

Début toujours

Je ne savais pas bien ce que je risquais, agissant de la sorte. Je ne parle pas ici du sida ou de quelque autre infection, mais de l'être que j'étais alors et ne serai plus jamais. J'avais une vie, elle valait ce qu'elle valait, elle avait ses plaisirs et ses malheurs comme toute vie. Elle était cependant. Et avait résisté à l'épisode S.
Cette fois, je ne pouvais plus justifier ma décision de poursuivre par la seule curiosité, le besoin de seulement savoir, ces excuses que j'avais bredouillées pour masquer l'élan véritable que le courrier de S avait suscité.
J'avais menti à propos de S. C'était bien moi qui avait été soufflée dès sa première lettre vicieuse à souhait, son chèque qui l'accompagnait. Je ne m'y étais pas rendue par curiosité, mais bien parce que ses mots avaient parlé le ton de mon désir, me dénudant autant qu'un coup d'épée bien porté aurait pu faire. Par la suite, j'avais été à la botte de S, tout près d'accepter sa proposition d'un petit studio dans le coin de chez lui pourvu que je fusse disponible à sa seule requête. Il s'en était fallu de quelques semaines pour que j'accepte. J'étais sûre que j'aurais fini par céder s'il n'était parti brusquement pour je ne sais où.
Cette fois, j'étais avertie. Et cependant je percéverais.

P avait loué une chambre. Nous avions tourné, comme la veille, un long moment,en vain, dans le dédale des rues étroites et courtes. Il était tard, la nuit s'amorçait plus tôt du fait de l'absence de la moindre lumière. Nous devrions vite nous séparer. Il a lancé alors l'idée d'un hôtel.
Je ne veux plus me souvenir de cet hôtel trouvé somme toute rapidement. Les obstacles entrevus n'en furent pas, la location d'une chambre semblant le seul souci du personnel.
La chambre minable. Les fleurs en plastique. La lampe ronde et rose. Je me déshabille, lisant à mesure dans le regard de P son étonnement, son intérêt, son indifférence enfin. Le mec seul en moi a du sens pour lui.
Il est nu. Foisonnant, trapu. Sa verge, longue et rose, pendouille à l'oblique de ses cuisses. Il m'enlace, m'embrasse, langue qui fouille vive, profonde. Une main se saisit de mon sexe, remue dessus. Il prolonge son baiser, l'approfondit, sa main de plus en plus rapide. Je m'arrache, m'agenouille, la bouche pleine de sa bave. Il m'attrape aux épaules, me relève, me pousse titubant vers le lit. Bouche à bouche, noués, nous tombons l'un sur l'autre. Il me branle de nouveau, sauvagement, sans tendresse. Je résiste, renonce,gicle dans ses doigts et plus loin.
Il rit, "tu en avais drôlement envie!" il lance avec sureté.
Je n'ai rien opposé. A quoi bon ? Ma présence en ce lieu, avec lui, suffisait à dementir ce que j'aurais avancé comme défense. Au contraire, comme pour confirmer, je l'ai pris dans ma bouche, caressant et creusant de surcroît entre ses fesses, portant à mon nez soon odeur âcre, suave.
Il a bien sûr gicler, ne serait-ce que de me voir agir comme je faisais.
Cette fois, cependant, nous en sommes restés là. L'un et l'autre appelés à d'autres urgences.

Début

Je verrai S tout le long d'une longue année, avant qu'il déménage sans me laisser d'adresse. Je ne peux pas dire même que j'ai rompu, qu'un sursaut d'être m'a arrachée à sa fascination. Non! C'est lui qui m'a larguée, sans un mot, sans me prévenir. Un matin, j'ai appelé son numéro et c'est une voix féminine qui a répondu. Quand j'ai renouvelé, la voix fraîchement m'a confirmé qu'elle ne savait rien de son prédecesseur dans l'appartement et prévenu qu'elle ne tolérerait plus mon appel intempestif. J'ai donc cessé d'appeler, faisant le pied de grue ( en vain) une après-midi et deux devant l'immeuble, au risque d'être interpelée par quelque voisin ou la police prompte à être sollicitée en ces lieux.
J'ai alors pensé que les circonstances suppléaient à ma faiblesse. Il restait les souvenirs auxquels revenir quand le désir se faisait incisif, péremptoire.
J'ai tenu plusieurs mois, non sans souffrir les affres du manque. Les circonstances, toujours, m'y contraignaient. Et puis d'autres S ne se manifestèrent pas.
Des mois. Je tournais, en dessous féminins, ici et là, en des endroits où pareille pratique peut entraîner sous un porche, dans une chambre d'hôtel, chez un particulier plus rarement.
Outre les dessous, je portais en ces lieux un fard discret, quelques bijoux sortis de ma poche au bon endroit (pensais-je)
Un après-midi, cela faisait trois ans que S était parti sans un signe, je ne tenais qu'en me branlant tant et plus au mépris de ma santé, dans une librairie, la porte d'entrée qui sonne, moi qui relève la tête. Un regard bleu, encerclé de l'or fin de montures, me saisit. je baisse la tête, feuillette longtemps des livres, me déplace dans la pièce, descend enfin au sous-sol par le colimaçon de fer noir qui y mène. Un pas derrière moi. Je n'y crois pas, n'ose y croire, soufflée malgré moi. Pourtant si, car je renouvelle ce qui n'était pas une manoeuvre (pas consciente) et le pas me poursuit. Me traque bientôt, une main s'emparant de la mienne, la poussant. Je ne comprends pas, comprends : ma main sur le sexe à travers la fine étoffe noire du pantalon.
Pour un peu, je tomberais et, feignant de ramasser un ouvrage, ma bouche se poserait où ma main. Inutile cependant! L'autre s'est détourné, son pas résonne sur le métal des marches. Epuisée, je ne bouge pas. Tremblant de la tête aux pieds, je me sens vide de cette touche qui s'échappe.
Quand je sors, il attend devant la devanture. Je m'arrête, lui caresse une épaule. Il avance, je le suis. Un square avec des planches que je lui indique, qu'il refuse. "Nous valons mieux" il dit scrutant les boutiques assoupies. En vain.
Ce sera un porche. L'ombre mince d'un porche, nous séparant du flux ordinaire de la vie. Les pavés dans les genoux, le geste qui vient sans effort ni hésitation, tranquille quoique ému. Ma bouche empli de peau souple, humide, ferme et douce, odorant. Le poids juste qui se fait en moi, tandis que je le tiens, tiens son sexe. Puis ma bouche mouillée. Sa main qui s'enlève de mon crâne. Le baiser tendre sur mes joues, alors que je suis debout de nouveau.
Nous nous quittons vite. Sans un mot, sans rien qui nous relie.
Le lendemain pourtant, dans la librairie, même heure, nous nous retrouverons.

portrait

Je me revois, l'ongle rouge, orteils bagués, à branler la verge fripée de S, par la vitre un paysage désolé de sable et de grues, la seine laquée grise quasi immobile. J'avais alors près de quarante ans et S m'avait levée d'entre les feuilles d'une revue x dans laquelle, épuisée de solitude, nécessité de déchirer le masque, j'avais des clichés travestis pris par mon épouse.
Il m'avait levée d'une lettre courtoise, le présentant aisé et fétichiste des pieds, et d'un chèque dont le montant m'avait littéralement fascinée. Après de nombreux renoncements dûs à des scrupules, j'avais fini par me rendre à son invitation pour un thé, un dimanche après midi, ne doutant pourtant pas de ce qui s'y passerait.
La porte refermée, il m'avait indiqué où finir mon travesti. J'étais vite revenue, la jambe gainée de résille, le corps enveloppé d'une guêpière de soie et d'une robe vaporeuse, l'une et l'autre achetées avec partie de son chèque.
S a le crâne raturé de rares cheveux noirs, le regard noir et un nez rapace. Il est beau, je le trouve beau et racé, conforme à l'homme auquel je souhaite céder. Il m'enlace doucement, me dirige vers la table sur laquelle, nappe blanche, service à thé, théière fumant. Je m'assieds, intimidée par son sourire, l'expression métallique de son visage. Il commence de servir, s'interrompt, demande que je me déchausse. Ce que je fais, ôtant l'escarpin vieillot acheté aux Puces de Montreuil. Il repose la théière, s'approche, se penche, se saisit de mon pied pour le porter à son nez, ses lèvres. Je suis sidérée par le geste, dépossédée de toute pensée, émue juste
affreusement.
Je me rappelle le plaisir qui me surprend et me vide. L'horreur alors qui me revient de la scène et ce que nous avons fait. Je me retiens pour ne pas filer aussitôt, me promet de ne plus céder jamais. D'avoir cette force. De devoir cette force à celle qui m'accompagne, m'a accompagnée dans la vie malgré de nombreuses déchirures.

Quelques semaines auront "raison" de mon être corrompu. A peine sept semaines, avant que j'y retourne en pleine connaissance de situation, sans cette fois pouvoir feindre une curiosité sans plus.

Je revois l'ongle rouge, les orteils bagués, le petit perlé d'un rubis (un cadeau cette fois) roulant sur la verge maigre et vigoureuse néanmoins, son visage arrimé au mien, sa bouche mince, cruelle comme on dit de ces bouches minces, me cinglant à mots crus, obscénités bien senties, moi les réclamant comme eau vive, traces de mon statut nouveau, de ma saleté.