Je verrai S tout le long d'une longue année, avant qu'il déménage sans me laisser d'adresse. Je ne peux pas dire même que j'ai rompu, qu'un sursaut d'être m'a arrachée à sa fascination. Non! C'est lui qui m'a larguée, sans un mot, sans me prévenir. Un matin, j'ai appelé son numéro et c'est une voix féminine qui a répondu. Quand j'ai renouvelé, la voix fraîchement m'a confirmé qu'elle ne savait rien de son prédecesseur dans l'appartement et prévenu qu'elle ne tolérerait plus mon appel intempestif. J'ai donc cessé d'appeler, faisant le pied de grue ( en vain) une après-midi et deux devant l'immeuble, au risque d'être interpelée par quelque voisin ou la police prompte à être sollicitée en ces lieux.
J'ai alors pensé que les circonstances suppléaient à ma faiblesse. Il restait les souvenirs auxquels revenir quand le désir se faisait incisif, péremptoire.
J'ai tenu plusieurs mois, non sans souffrir les affres du manque. Les circonstances, toujours, m'y contraignaient. Et puis d'autres S ne se manifestèrent pas.
Des mois. Je tournais, en dessous féminins, ici et là, en des endroits où pareille pratique peut entraîner sous un porche, dans une chambre d'hôtel, chez un particulier plus rarement.
Outre les dessous, je portais en ces lieux un fard discret, quelques bijoux sortis de ma poche au bon endroit (pensais-je)
Un après-midi, cela faisait trois ans que S était parti sans un signe, je ne tenais qu'en me branlant tant et plus au mépris de ma santé, dans une librairie, la porte d'entrée qui sonne, moi qui relève la tête. Un regard bleu, encerclé de l'or fin de montures, me saisit. je baisse la tête, feuillette longtemps des livres, me déplace dans la pièce, descend enfin au sous-sol par le colimaçon de fer noir qui y mène. Un pas derrière moi. Je n'y crois pas, n'ose y croire, soufflée malgré moi. Pourtant si, car je renouvelle ce qui n'était pas une manoeuvre (pas consciente) et le pas me poursuit. Me traque bientôt, une main s'emparant de la mienne, la poussant. Je ne comprends pas, comprends : ma main sur le sexe à travers la fine étoffe noire du pantalon.
Pour un peu, je tomberais et, feignant de ramasser un ouvrage, ma bouche se poserait où ma main. Inutile cependant! L'autre s'est détourné, son pas résonne sur le métal des marches. Epuisée, je ne bouge pas. Tremblant de la tête aux pieds, je me sens vide de cette touche qui s'échappe.
Quand je sors, il attend devant la devanture. Je m'arrête, lui caresse une épaule. Il avance, je le suis. Un square avec des planches que je lui indique, qu'il refuse. "Nous valons mieux" il dit scrutant les boutiques assoupies. En vain.
Ce sera un porche. L'ombre mince d'un porche, nous séparant du flux ordinaire de la vie. Les pavés dans les genoux, le geste qui vient sans effort ni hésitation, tranquille quoique ému. Ma bouche empli de peau souple, humide, ferme et douce, odorant. Le poids juste qui se fait en moi, tandis que je le tiens, tiens son sexe. Puis ma bouche mouillée. Sa main qui s'enlève de mon crâne. Le baiser tendre sur mes joues, alors que je suis debout de nouveau.
Nous nous quittons vite. Sans un mot, sans rien qui nous relie.
Le lendemain pourtant, dans la librairie, même heure, nous nous retrouverons.
vendredi 22 février 2008
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